Sylvia Lacaisse - Bestiaire par Julien Denoun -1991
Catalogue exposition galerie Grassion Racana Paris
L'anecdote
Dans les eaux marronnasses de Guyane se tapit l'aïmara, courent les bancs de piranhas. Fameux poissons dentés. Pour les pêcher on recourbe parfois un clou mais toujours on remplace le fil de pêche par du fil de fer.
Le Philosophe
C'est par le poisson dans l'eau que Lucrèce argumente sa compréhension du vide : "comment le poisson pourrait-il se mouvoir dans l'eau s'il n'y avait du vide entre les atomes d'eau." Ces atomes, il les conçoit comme des billes qui roulent. Roulements à bille.
Le chemin
C'est dire que ces poissons qui montent à la surface des flaques feuilletées de Sécurit nous viennent de très loin. Régions cannibales autant qu'anciennes. Leurs bulles, on s'y casse les dents.
La dot
C'est par la tête que pourrit le poisson. On connait la faiblesse des ouvertures, mais on n'a pas le choix : ça passe par là. Un temps, Sylvia Lacaisse est restée fascinée par eux. Et puis c'est venu : à distance mais dans les yeux, les voilà rendus à l'ordre pour de longs transports, en compagnie des arcs et des barques.
Structures
Il y a des rythmes,une musique, des nombres et des sphères, des ellipses stellaires et du quatre indien. Jusqu'aux hélices cornues de bestiaires prêts à réensemencer l'espace.
Nombre et lois. C'est multiple et c'est ordonné. Ça tient suspendu mais très fort car de l'intérieur. Des villes qui ne craindraient aucun siège.
Ces ordres suspendus conjurent le désordre du monde : les nuages et les étoiles filantes, la lumière et les cris, l'envol et le sang. Apaisant malgré les dents et les arêtes.
Présence
La pierre est là, le verre est là, le poisson est là,le métal est là. Jeu des grammaires élémentaires. C'est par la douleur que les rites tribaux amènent l'impétrant à la présence. Ces dents des pyraïes qu'on suppose faites pour manger de l'homme sont là pour ça.
Archaïsme des silencieux néants. Se faire bouffer sans affect. pourtant : "c'est sans danger".
Fracas
Aboli, suspendu. Le fracas de l'acte. Cristallerie de la catastrophe supposée. Billes qui roulent. Sculptures précatastrophiques : du verre - insecure Securit - pas le clous, pas de colle, du verre posé équilibré sur des billes centrées sur de plates rondelles d'or.
Tu pousses, ça roule. Tu lèves, ça plie, ça glisse. Ça casse, tu cries.
Le regard
La résistance classique de la sculpture à se résoudre à un seul regard. Elle est présente à l'espace plus qu'à un spectateur. Ici, avec ces lames qui, loin d'être transparentes, gardent et traduisent la matière lumineuse, on ne peut se contenter d'un seul point de vue, alors on tourne, on s'en écarte, on y revient. On se pensche sur les plans, on s'imagine au milieu des structures. A la place des pierres.
Aimer
Lourds équilibres. Il y a l'immatérialité des transparences. Oui, assez. Mais plus loin que la transparence, comment être tenu par du rien? Aimer sans salir?
Sylvia Lacaisse a choisi l'aimant. Mais l'aimant ne parle qu'à l'aimant. "Ittes" ne connait pas de fin définitive : aucun aimant n'est plus tenable là-haut, la dernière lame de verre est posée seule, libre.
Abstraction
Michel-Ange concevait Moïse avec des petites cornes sur la tête. Irradiation mystique. Mais sur ses tables, sur ce livre, était-ce vraiment écrit? Pas plutot une vision? Une pierre presque romane pour soutenir la question. Irradiation de la statuaire. L'abstraction comme figuration inépuisable.
Courir
Les enfants qui courent parmi les sculptures, sans même leur jeter un regard, n'ont jamais ébranlé, ébrêché, renversé une seule de ces pièces.
Julien Denoun
- Curriculum vitae
- Communiqué de presse par Olivia Bianchi - 2009
- Les taxidermies de Sylvia Lacaisse par C.Bazin-Fontana - 2003 -
- Sylvia Lacaisse - Bestiaire par Lorenzo Perugini - 1993
- Le temps du regard - par Jeanne Gatard 1995
- Sylvia Lacaisse - Bestiaire par Julien Denoun -1991
- Sylvia Lacaisse Sculptures par Robert Fohr -1985
- Article de presse le quotidien de Paris - 1991
- Article de presseTélérama - 1986
- Article de presse Art press -1986